mardi 17 juin 2008

Damas en villégiature

Cela m’a pris vendredi matin. Rien d'autre ne comptait : une envie d’air, d’échappées belles.

Même si l’élection d’un président libanais assurée, son nom sanctifié avant même de passer devant le Parlement, notre Pacha méditerranéen Sarko Ier en visite pour l’introniser, j’en avais ras la couenne de la tension qui pulsait en battement saccadé sur Beyrouth.
Oh, bien sûr, on était revenu à la normale. Juste des « accrochages », un mort parfois la nuit et…Les camps de réfugiés palestiniens qui s’agitent toujours en souterrain… Comme un message subliminal, un avertissement sous-jacent...

Mais le cérémonial des chefs, leaders, cassites de ce petit bout de terre me fatiguait. Le « La défense, c’est à moi, à moi » du général Aoun (chrétien, allié au Hezbollah, et, pour faire court, « pro syrien »), qui pâtit, c’est vrai, d’une vraie guerre de tranchée de la part des « légitimistes », (soit les « occidentaux », les pro-américains et pro-Arabie saoudite) ou les revendications de ceux-là justement qui hurlaient « si tu ne me donnes pas l’économie et la justice, je lâche mes chiens »……

Alors j’ai filé à Damas. 3 Heures de taxi-services, une conversation crispée avec les militaires syriens et je rejoignais H., un ami en mission en Syrie.

H et moi on se connaît depuis 2000.

À l’époque, je traînais à Bethléem pour un papier sur l’économie de guerre avec Salim, lui-même italien (palestinien mais avec passeport italien) quand Salim me dit : « Il te faut un Français. » Comme si autrement son honneur mis en doute, mes capacités linguistiques également. C’est comme cela que j’ai rencontré H.

H. n’est pas Français même s’il parle ma langue. Lui est Suédois (si vous suivez la logique : Palestinien avec un passeport suédois). Y’en n’a pas beaucoup en Palestine. En plus, il le parle vraiment, le Suédois. Et faire le marché avec lui, c’est toujours prendre le risque d’apprendre du Suédois à la place de l'Arabe. Quand je lui demande, si on peut faire un tour par le marché aux épices pour acheter de ce "truc, tu sais, qu’on met avec les sauces aux tomates, les bamias", il me répond « Ah oui, tu veux du "gruck", c’est bien ça ? » Naturellement, quand de retour à beyrouth, j'ai exigé du "gruck", mon épicier a jeté sur moi un regard d'incompréhension totale...

En fait, en Syrie, quand, on l’écoute expliquer pourquoi il parle l’Arabe avec un accent jordanien (et se plier ainsi à la règle implicite, qui veut que, en Syrie, si la sacralité de la cause palestinienne n’est pas remise en cause, la survenue d’hommes et de femmes vivant dans la proximité de l’Ennemi n’est cependant jamais la bienvenue) cela donne, étape par étape :

- Ma famille vient de Turquie. Fin du siècle dernier. Mais mes grands parents ont quitté la Turquie (nota : ils ont fui quand ont commencé les pogroms anti-chrétiens dans l’empire ottoman.)
- Moi, je suis né Bethléem, en Palestine.
- Mais je suis venu enfant en France (c'est pas vrai, mais faut faire passer l'énormité d'une naissance palestinienne très vite) et j’ai fait mes études en France (d’où pour le vendeur de tapis aussi la raison de ma présence à ses côtés, moi inévitablement consacrée "femme de") mais j’ai longtemps vécu en Suède.
- Ma femme d’ailleurs est suédoise. (Là, le vendeur ne pige plus ma présence sauf à se dire que finalement je ne suis peut-être que la maîtresse d’un voyage d’affaires)

H. s’avère en fait Assyrien (sa langue maternelle étant l’araméen), L’une des petites communautés chrétiennes de la région. « Non-Arabe » comme indiqué sur sa carte bleue des habitants de Jérusalem-Est (la carte de ceux dont les quartiers ont été conquis après le conflit de 67 par Israël.) L’Etat israélien cependant remettant en cause sa validité, ayant découvert qu’il était certes « habitant » de Jérusalem-Est, mais avait, ô infamie, aussi une maison à Bethléem, ce qui est bien sûr inadmissible pour un palestinien.
Le berceau familial de H., se situant autour de ce qui est maintenant la colonie de Gilo, extension de Jérusalem. Les terres familiales inaccessibles puisque MUR il y a entre Jérusalem et Bethléem.

Si je raconte cela, alors que se prélassant au soleil de Damas, sous les treilles de la vieille ville, se pourléchant d’un plat de « chich-barack » (lentilles et nouilles), mais comme réinventé avec des oignons fruits, du Coriandre frais et d’une pointe de Sumak, c’est que soudain, là, ailleurs, tous les deux, hors de notre monde furieux, quelque chose entre nous comme une évidence.

Jérusalem pèse sur l’âme de ses habitants.

Il nous a fallu un week-end de farniente, de sauvageonnes escapades, pour nous rendre compte, dans la langueur de la ville syrienne, combien à lui comme à moi Jérusalem (ou Bethléem ou Naplouse) influait sur notre rigidité sociale.

À Damas, en goguette, et comme deux adolescents encore avides de plaisirs enfantins, nous retrouvions l’absolu bonheur à n’être pas sous le regard de l’autre (l'Israélien, le militaire, le mafia gangster, l'autre quoi en figure de pouvoir).

C’est un sentiment difficile à exprimer. Être sous occupation à Naplouse ou à Bethléem, être sous tension éruptive à Beyrouth ou Jérusalem est un sentiment qui agrège tout jusqu’à ce que vous l’ayez à ce point intériorisé qu’il n’existe pas d’autre possible. L’anormalité de la situation vécue devient votre normalité. On se tend alors, on inscrit comme innée une rigidité, une fatalité obscure dont on ne découvre l’artificialité qu’à l’étranger… Hors de notre monde furieux.



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