mercredi 14 mai 2008

Du cèdre ou de la fleur de chou ?


Quand ça a commencé à bombarder, je venais à peine de rentrer chez moi. « Ils » (l'opposition, donc Hezb en première ligne) canardaient Future, la télévision de Rafic Hariri tout à côté. Pas loin de 30 millions de dollars qui sont (presque) partis en fumée. Mais ça, je crois qu’ils s’en foutaient.

Après deux ou trois "boum-boums" bien tassés avec la spirale/chuintement de vent préalable des roquettes, chacun savait que ce n’est pas pour rire et que la nuit allait être longue.

En fait, elle ne l'a pas été trop, la nuit, toute proportion gardée. La prise de contrôle de Beyrouth ouest pliée en deux-trois heures. Le reste de la nuit de simples accrochages ou des cons pissant dans les coins pour marquer leurs territoires, à coup de "tchakaboumboums" surpuissants.

Réflexes, on jette des draps par terre, si jamais les vitres venaient à exploser sous les impacts. On éloigne les meubles des fenêtres. On prend son matelas, celui de ses enfants, et on l’installe dans la seule pièce sans fenêtre.

En général, le couloir ou la salle de bain. On vérifie aussi les bougies. L’électricité est vite coupée et l’eau vient aussi à manquer. Mais tant que c’est possible, on laisse la télévision tournée en 24/24 pour suivre depuis les hauteurs, les journalistes casqués, gilets pare-balles d’Al Jazeera ou de LBC, qui nous raconte l’événement qu’on est en train de vivre.

C’est normal comme réflexe. Rester ensemble, nidifier dans les replis "sécurisés" de sa maison.
Se voir à la télévision aussi, ça distancie. Une distanciation, oui, bienheureuse qui vous permet de tenir alors que vos vitres tremblent. Ça donne un sens, une ligne surtout, un début et une fin à l’enfer.

Mais moi, je n’ai pas la télévision. J’écoutais les "boums-boums" se succédant drus, sachant, au moins, que cela indiquait une bataille rangée pour un bâtiment. La TV de Hariri comme objectif probable.

Quand je m’étais installée dans Zarif, je m’étais dit « Oh merde, elle est quand même très près… » Mes amis Palestiniens me disant : « Trouve-toi un quartier homogène et vit dans son cœur. » Quand ils disaient "homogène", pour eux, ça signifie "sunnites".

Non pas que mes copains palestoches détestent les chiites, au contraire. Ils ont tendance à vénérer Sayyed Nassrallah (« en termes de résistance aux Etats-Unis, et à Israël, y’a pas mieux. Mais on ne veut pas de son agenda social. ») Juste, quand même, que des dingues à turban qui vénèrent le sultan Omar plus que Mohammed, ça les laisse perplexes.

Naturlich, je m’étais choisi un coin dans un quartier mixte, en bordure. Mon côté français, sans doute. Comme dit Farouk : « Faut toujours que tu ailles fourrer ton nez, là où il ne faut pas. »

Alors, ensuite, faut pas s’étonner, les "boum-tchouffes" en cascade.

Puis vers 9 Heures, l’appel à la mosquée glougloutant au milieu des rafales. Les tirs de roquettes s’espaçant, s’éloignant vers Hamra tandis que progressivement le tchacotchac des tirs (en l’air) les remplaçait.


En cas de guerre, quand coincé dans son appart, il faut se trouver une occupation. Quelque chose qui vous occupe les mains, le corps. Ou plutôt quelque chose qui vous relie à l’intensité de votre vie. C’est pour cela qu’on sort, qu’on hurle, qu’on danse sous les bombes. C’est aussi pour cela qu’en cas d’invasion, l’une des règles inconscientes, c’est de se regrouper. Un réflexe, un autre, qui vous prouve tout autant qu’il accomplit le sens de votre vie dans une communauté (celle des êtres vivants).

C’est aussi pour cela qu’à chaque fois qu’une bombe éclate, un missile dans l’air et sa traînée verte dans la nuit, tout ça, moi, ça me fait monter ma libido en vrille.

A. dit que la guerre transforme. Elle en change le tracé de la vie, pour le meilleur et pour le pire. Qui serait-il s’il n’avait passé 10 ans à combattre dans les rangs du PC libanais pendant la guerre civile ? « J’aime la vie avec une foi absolue ; en même temps, l’amertume me prend souvent. La mort désacralisée…» Il dit aussi : « Je déteste la violence. Je déteste les armes. Chaque fois, je me dis : "un coup de feu et je fous le camp." Je suis sincère. Mais, dès le premier coup de feu, je deviens un autre homme. Le danger, la mort m’attire. »

Alors, lui se promenait dans les rues de Beyrouth, trouant les rangs des miliciens de son pas chaloupé.

Une épilation intégrale.

Je voyais que ça, dans son automatisme réitéré qui me permettent de faire abstraction. Alors tandis que la mitraille voltigeait, les « ssscheeu- boum » des mini roquettes (celles incorporées aux fusils) en son régulier venant percuter les murs, je m’arrachais les poils un par un à la pince à épiler. Plus de sucar ("cire") et, de toutes les façons, pas d’accès à la cuisine pour m’en faire. La cuisine, donnant sur Future, trop exposée aux tirs.

César m’appelait aussi. Inquiet de ma position alors que les dingues envahissaient les rues. «Toujours en vie, toujours excitée ? » demandait-il vers 1 H du mat tandis que l’orage éclatait dans la nuit, lavant la ville de ses spasmes. « Oui, habib elbi, toujours. », lui répondais-je, sur mon matelas, dans le couloir. Lui m’invitant à venir mes décontracter les neurones/le corps dans son pieu si jamais je n’en pouvais plus des guerriers chiites.

« Allez, viens à Achrafiyé. On fêtera la victoire du Hezbollah. » Mais j’avais moyen envie de fêter une victoire qui me flanquait le cul dans la baignoire.

Au matin, j’ai bien essayé de sortir, mais les michetons dans les rues, m’ont dit « Niet » (les combattants de ma rue, appartiennent au parti communiste, allié du Hezbollah) et croyez le, eux aussi, inquiets pour ma survie.

À la fin pourtant, j’ai quand même réussi à négocier mon départ (ainsi qu’un café) avec des gars d’Amal. Sans café, ma survie impossible. C’est ma ligne rouge perso, le café.

- Sois chouette, tu travailles, non ? Moi aussi.
- Mais c’est dangereux, tu ne peux pas traverser.
- Et si je passe par l’arrière [chiite]? Et je repique sur Sanayeh [indéterminé] de biais pour rejoindre la rue Spir [sunnite] - mais en l’évitant - pour rejoindre Kantari (armée libanaise). Qu’est-ce t’en penses ?

Dubitatif, il a réfléchi 5 minutes:
- Oui, c’est possible. Ahmed accompagne la Française jusqu’à Sanayeh. Après à tes risques et périls.

Un ami de D. me prêtait son studio à Achrafiyé tandis que lui, druze et homo (mais c’est surtout le côté druze qui compte ici) remontait, autre réflexe grégaire, dans la montagne pour rester/aider auprès des siens. Comme c'était un coin, Aley, où ça tapait sec entre Druze de Jumblatt et Hezbolliens, j'étais pas loin de penser aussi, qu'il remontait pour se battre.

La montagne druze où justement, le Hezbollah enverrait ses hommes, avec certes en premières lignes quelques autres druzes–alliés (vous suivez ? des Druzes donc aussi, mais d’un mouvement de l’opposition). Histoire que ça ressemble pas complètement à un conflit ethnique.
Le Hezbollah envahissant la montagne parce que trois de ses combattants avaient été découpés à la machette dans un préalable exquis.

Arrivé à Achrafiyé, de me savoir sortie des griffes du Hezbollah, ça a complètement calmé César. Il m’a bien câliné d’un « Ah te voilà ! », façon Marcel Pagnol et le retour de la Pomponette. Mais de lit nenni. Et j’ai dû attendre 4 jours pour qu’il me rappelle, cinglant de sa voix traînante sublime, mes atermoiements d’un : « Nanooooooouuuuu, mais pourquoi tu m’appelles pas ? »

Alors je suis rentrée dépitée dans mon quartier. Les commerçants ont rouverts, Amal et le PC libanais (ainsi que la garde d’un leader non identifié surl'axe de sanayeh) planquent leurs armes, justes des pistolets aux hanches et des talkies-walkies en bandoulières. On se dit : « bonjour Kifek/kifak », le plus naturellement du monde. Et on attend. Quoi ? La reprise des combats, le retour au statu quo ou la démission du gouvernement. Rien d’autres. Rien de moins.


Aucun commentaire: