lundi 28 avril 2008

du ridicule de la chauve-souris

César existe-t-il vraiment ?

La vérité ? Parfois, même moi, je me demande s’il a une autre existence que celle que je lui prête dans mes nocturnes ébouriffants.

Depuis des années, j’avance avec ce corps dont je ne sais que faire, ce corps qui a renoncé. Des années donc que je n’ai plus d’élans (l’homme-singe certes mais hygiénique, cf. posts précèdents) Mes pulsations de vie énuclées, perdues, je continue d’avancer cependant mais avec ce sentiment d’avoir été vaincue. Je connais bien trop la route désormais pour me laisser surprendre. Je connais trop bien les hommes, leur désir d’ouvrir le corps des femmes, d’en cisailler le don, pour me laisser prendre à ce rodéo ridicule.

Alors oui, je me demande comment César, ce micheton, juste si divinement uggly/sexy, est capable de me faire monter au plafond sans même me toucher. Et pourquoi lui grand dieu ? Ya Allah !! Oui, je me maudis.

Ça m’est tombé dessus dès que je l’ai vu. Direct, sans mesure ni graduation aucune (L’abstinence?) le corps pulsant en hauteurs vertigineuses, alors qu’il me demandait comment j’aimais mon café. « Avec amour » lui ai-je répondu, complètement hors propos. Il s’était tourné vers moi, un « ça serait pas plutôt sahadaaaaa ?» avec cette voix grave, l’accent traînant en final des gens de Beyrouth, qui a aussitôt bloqué ma respiration. César, il a un côté toujours pratique. Moi, un côté lunaire.

Là, récemment, il s’est rasé la tête, léger pas encore la boule à zéro (il est sublime l’été venu) et s’est laissé pousser un bouc qu’il caresse avec une régularité, selon moi, suffocante.

- J’ai des cheveux blancs. Quand je drague des minettes, ça leur plaît mieux le côté rasé. C’est plus tendance, plus jeune.

À n’importe quelle nana, dûment cérébralisée, la sentence Auguste ferait bondir une bonne dose de fiel, un genre de « Ben, vas te les niquer tes grognasses et fous moi la paix, connard ». Mais non, je suis toute douce avec lui, chose rare, un sourire niais aux lèvres et j’en profite pour lui mater les fesses tandis qu’il se ressert une Vodka Red Bull, sa boisson préférée.

Parce que voilà sa bouteille de Vodka est maintenant dans le placard du salon de mon nouvel appartement. Vous pensez illico : « Ouawou, net progrès, la chose avance. »

Que nenni : il est juste passé voir l’appart' avant de rentrer chez lui se coucher. Il l’a bien aimé d’ailleurs, l’appart et aussi le canapé. Moi, cependant, accrochée au rideau, façon chauve-souris (j’ose la comparaison car, vivant désormais dans Harat el-Ouatouat, « le quartier de la chauve souris », près du jardin de Sanayeh, je puis au moins me prévaloir de leur grâce sublime) mais toujours aussi souriante et douce.

- Garde-la Nanou, la bouteille, pour quand je repasserai. C’est sympa chez toi. C’est calme.

Un peu auparavant, il m’avait aussi dit :

- T’es brave, Nanou

« Brave ? » Ce n’est pas comme à Paris certes, pas un synonyme à peine édulcoré pour «golemon intégrale ». Même si je ne peux pas m’empêcher de me dire qu’on en n’est pas loin, dans mon cas. À Beyrouth, le terme signifie plutôt un « t’es sympa. » (By the way, une paille pour boire son Coca, on appelle ça un chalumeau en Franco-libanais)

J’ai des visions pince à épiler torturante, quand il le prononce le fatal « brave », (il le dit souvent). Je me verrais bien l’attacher à la chaise et lui arracher les poils du torse un à un (Il en a Danielle, vérifications faites) pour lui faire sentir mes possibilités sauvages également.

En début de semaine, et dans un SMS sibyllin, il m’avait bien proposé d’aller boire un verre, mais c’était plutôt pour son pote Léon, en rade de mousmés, qu’il en avait eu l’idée : une de mes copines italiennes de passage à Beyrouth lui semblait convenir. Comme mon Italienne ne pouvait pas, il avait juste annulé d’un « de toutes les façons, je suis vanné. » (Ne me demandez pas pourquoi il n’a pas songé à moi pour Léon et, bien que la chose me soulage, je suis en même temps, juste ce qu’il faut de « piquée au vif ».)

Comme il ne pouvait en être autrement : il m’a parlé de lui, de sa vie de César, hier au soir en sirotant ses multiples Vodkas Red Bull. Ça fait trois ans, maintenant qu’il est libre. « Pas de copines précises.» Juste 3-4 en permanence, qu’il a récemment réduit à deux, avec, il est vrai, quelques extras supplémentaires, en boîtes de nuit, soirées fiesta, ou juste une occase qui passe par son bar.

Vous y croyez vous à son trip roi du Zob ?

Récemment, il s’est tortoré une Anglaise en douce. Une belle jouvencelle qui toute la nuit, et alors qu’en boîte, ils s’étaient déjà passablement testés leurs zones érectiles respectives, avait passé son temps à le seriner d’un « I’ve got a boy-friend » tandis qu’il la sautait. Il n’a pas vraiment compris le rapport. Mais avec les Anglais(es), on ne peut pas comprendre grand chose avec eux.

- Parfois, je pense que pas de sexe, c’est mieux. Parce qu’à un moment, quand t’en baise une le matin et rebelote l’autre le soir, ça finit par te faire mal au cœur.

- T’es sûr que c’est pas tout simplement au prépuce que ça tiraille ? (le Red Bull faisait son effet).

- Non, au cœur, Nanou, tu sais même plus pourquoi tu baises. En même temps, j’avais besoin de ça, je suppose. Tu vois, tout ça. Les nanas, le sexe, mon boulot. Ma vie. Et y’a quand même quelque chose qui manque. Vraiment. Je ne suis pas satisfait.

En fait, le César, il a toujours eu des histoires, genre une bonne moyenne, deux-trois ans que ça le tenait. Sauf quand il a renvoyé la dernière poule longue durée, là il a eu envie de s’essayer à peu près à tout.

Il me parle de la Thaïlande où il s’est fait quinze jours de vacances pornos à deux ou trois Thaï en trinôme par soirée. « C’est dingue, là-bas tellement c’est accessible le sexe. » « Tu les chopes en boîte, juste tu les invites, pas de question de fric entre elle et toi, même si je leur en ai donné quand même à la fin. Mais ce n’était pas demandé. » « Au Liban, des touzes, des deux filles/un mec, tu peux en parler avec les filles, mais dès qu’il s’agit de concret…Y’a plus personne. »

- Je fantasme en permanence dans ma tête.

Les Thaïs, ça lui rappelle soudain qu’il a mal au dos et qu’il irait bien se faire masser.

N’importe qui, je suppose, verrait l’ouverture. Le « Je peux t’en faire un si tu veux. Je suis assez experte dans mon genre », qui me permettrait, au moins, de casser les délires phantasmants, pour me confronter à la réalité de son si délicieux Tafounah (du Tunisien, pur jus, un retour aux origines quand il s’agit de ses « fesses »). Mais, je dois être foutrement orgueilleuse, parce que passée après l’épisode Thaï, et ses régulières, ça ne me disait trop rien soudain. J’ai beau être à l’image de la chauve-souris, d’un ridicule de taupe (mais sublime quand je vole dans la nuit), je vais tout de même pas lâcher mon orgueilleuse fierté en rase campagne pour un cramé du zob.

Cela n’effaçait cependant en rien le tremblotement sismique, qui m’avait saisie dès qu’il s’est assis à environ deux nœuds marins de mes mains.

- Y’a une Russe à Achrafiyeh qui masse. Je vais peut-être y aller.

Avec les Russes, forcément tu penses sexe, prostitution. Mais il me dit que celle-là c’est une pro (des massages) elle ne fait pas de descente d’organe a posteriori.

- Une fois, je suis allé à Hamra me faire masser. Au bout de cinq minutes, la nana me demande si c’est vraiment un massage que je veux. J’étais pas contre une turlutte en final. Mais ça m’a coincé qu’elle me le demande aussi sec. Je me suis cassé.

Aussi César, il pose des questions sur Israël, sur le Hamas. Et, à mes réponses, ajoute :

- Je ne suis pas borné. Israël… Tel-Aviv, ça doit être sympa. En même temps, il nous ont bombardé… Je ne pourrais pas. Tu sais qu’ils ont évité les quartiers chrétiens ? Mais cela ne change rien : c’est le Liban qu’ils ont pilonné. L’Hezbollah, ce sont eux les vrais résistants ici. Même si je ne veux pas vivre dans la société dont ils rêvent.

Quand on parle à quelqu’un ici, on peut parfois craindre le pire. Je veux dire pas solo : « Et si on forniquait ce soir ? » qui peut t’advenir à peu près dans tous les coins de la planète. Mais en termes de vie, d’opinions politiques, d’affects sensibles. Ne serait-ce que dans un café, tant d’opinions contradictoires, d’origine (religions, politiques, régions, douleurs…) multiples et pour moi obscures, qu’il faut parfois toute ma paranoïa palestinienne, pour passer entre les tables et survivre. D’autant que l’esprit occidental, qui aime à cataloguer, va chercher ses petites cases à remplir. Un chrétien, qui plus est de la pire espèce, maronite ? Un fou de Dieu épris du sang de ses adversaires. Un chiite ? Oh, la, la les flagellations hezbollatiques qu’il doit se tasser au moment de la commémoration de la mort de Hussein. Un vrai régal.

Je n’y échappe pas.

Ce que je tente là de dire, avec moults circonvolutions (mon côté oriental, tunisien, ne jamais aller directement au nœud coulant) c’est que, même face à César, même assise dans mon canapé, je ne pouvais savoir si évoquer Israël (et les Palestiniens), c’était, par exemple, le blesser (partageant alors peut-être la ligne du général Aoun), le mettre en colère (merde, merde, et si plutôt tendance phalangiste ?) ou me griller définitivement dans tout Achrafiyeh.

A minima, j’ai aimé qu’il se pense Libanais (moi ayant souvent du mal à me sentir française, mais c’est une autre histoire). Qu’il avance « Achrafiyeh la banlieue, tu crois que c’est différent ? »

Une fois, lors d’une de mes précédentes pérégrinations, discutant des réfugiés Palestiniens (revenant de Nahr el-Bared, le camp dévasté de Tripoli), avec un grand monsieur, éditorialiste de son état, d’un quotidien libanais francophone, lui-même peut-être dans la nostalgie d’un ancien monde : « A l’évidence, le » vivre ensemble » impossible, les communautés doivent se constituer en Etats indépendants quitte à vivre dans une structure confédérée. » Sachant pertinemment – et cela me faisait froid dans le dos – aussi, lui ce grand monsieur, amateur de golfe et de gros cigares, ce que cela signifiait en termes de sang à verser pour faire advenir son idée.

A l’image de l’Irak, où les Américains, faute de rien contrôler (ou, au contraire contrôlant tout si j’écoute ma paranoïa palestinienne), ont choisi l’option ‘guerre civile’ pour mettre un peu d’ordre dans ce merdier arabe (la doctrine de « Tuez les tous, surtout les musulmans, et Dieu reconnaîtra les siens » des Evangélistes). L’idée d’une confédération libanaise où chaque communauté repliée pourrait alors se créer un univers à sa mesure n’est pas chose nouvelle. En grande mode, du temps déjà de la guerre civile libanaise où, malgré le sang des shahids ou des mardours (des hommes tués dans le dos, par leurs propres frères), nul n’est parvenu à la mettre en œuvre.

Alors, oui dans l’au-delà de mes désirs incontrôlables, walla, en plus, le sieur César (ma mère l’appelle Oscar quand elle m’en demande de ses nouvelles) me devenait précieux.

Quand il est parti, moi le raccompagnant jusqu’à la porte de l’immeuble fermée et le soldat (un vrai celui-là en treillis, de l’armée libanaise, pas comme les gangs pro Hariri qui végètent aux alentours du quartier – chiite/arménien – où je vis désormais), le matant en douce, il m’a attrapé la joue, me l’a pincée avec un très très beau sourire. Il était heureux de ne pas s’être retrouvé en slip dans ma piaule. Enfin, je crois. Cela lui avait fait du bien, juste ces 3-4 vodkas sur mon canapé. Ma chique douloureuse ? Un geste de tendresse, une sorte de caresse, en même temps que de remerciements. Ou d’un désir, si rapidement esquissé, dont la renonciation lui plaisait ? Ou alors rien ? J’ai peut-être encore rien compris du pays et des hommes : mon côté watawette (« chauves-souris » au pluriel) sans doute.

jeudi 24 avril 2008

Cunni velu ? Mafih... 2nde partie

Assise sur le canapé d’un autre A. (sans la même relation que le Roi singe), cette fois Libanais et tandis que Hamida termine son ménage dans la cuisine (lui-même, absent, travaillant, il me passe ses clefs pour que je fasse ma lessive), je réfléchis. Et, à l’image d’une Sex & the city orientalisée, moi, posée, en jean moulant/taille basse et tee-shirt noir, mes lunettes œil de mouche dans les cheveux tandis que Hamida n’a pas même quitté son voile à l’intérieur, je m’interroge sur la signification de mon épisode grand velu.

Je suis née dans un pays Arabe. J’ai grandi presque toujours entourée de musulmans. Autant dire que l’initiation au mode d’épilation caramel a vite été réalisée. Quant à me pourlècher d'un sexe d’homme à la gangue dénudée, il y a de cela longtemps que cela n’émerge plus sur la liste de mes exploits. J’ai même pour ceux, Français, qui ignorant tout des pratiques orientales, des persuasions doucereuses, les ciseaux jamais très loin, comme pour les inviter à se complaire à mon idéal (car derrière, à l’instinct, je pense: "s’il ne fait pas même attention à l’hygiène de ses aisselles, alors de quoi le reste est-il composé ?")

C’est quand j’arrive au Moyen-Orient que tout change. A ce moment-là (et sans qu’il y est de rapport particulier entre les deux, enfin si en même temps : religion et poils faisant mauvais ménage) j’ai besoin, un vrai besoin, de deux éléments pour me réapproprier mon espace et le sentir carillonner à mon corps intime. L’appel à la prière du Muezzin (c’est limite si je ne vais pas prier, en fait, je le fais quand je suis à Jérusalem sur Haram al Sharif) et un passage tonte intense.

Et voilà que m’interrogeant toujours, je fais enfin le lien : en terre d’islam, le système pileux est tantôt virilité assumée, gloire au Divin (la moustache ou la barbe) en même temps que souillure honteuse (le pubien, les aisselles).

Pour la femme, au-delà d’une pratique purificatrice, qui l’entraînera à se totalement déplumer des sourcils jusqu’aux jambes, son acte sans doute vise-t-il aussi à la distinguer de l’homme –reconnaissant ainsi sa différence implicite.

La tonte alors relève aussi d’un artifice de séduction. Peut-être même, je me le demande, comme une sorte de virginité enfantine réitérée.

Là où le bât blesse c’est que le A. palestinien, point musulman pratiquant mais conservant l’édulcorant des rituels sociaux, ne songe pas à l’impudeur qu’il y a à dire, quand posant, debout, en Dieu singe réincarné, « non vraiment, je ne peux pas. »

Je me souviens encore d’une de nos conversations avec Salim, dont la femme voulait divorcer, pour, de prime abord, de mystérieuses raisons, et qui, au final, me disait que : non, il y avait des choses qu’il ne pouvait pas faire. Et moi lui rappelant qu’en Terre d’islam (officiellement au moins) la femme peut demander le divorce pour sa non-satisfaction sexuelle. Qui me répondait : « Mais ça ?…Non, le prophète ne peut pas avoir souhaiter pareille chose. »

Le peu pourtant que je sais du prophète et de la religion musulmane, c’est que si elle ordonne la purification des corps pour se tourner vers Dieu, elle est aussi d’une sensualité à nulle autre pareil, ravaudant les chrétiens au rang de pauvres bigots arriérés.

Sur le dégoût de certains hommes d’Orient pour le plaisir féminin, je n’ai alors guère de réponse. Sauf à encore et toujours considérer, là encore, l’universalité de la domination masculine sur le corps de l’Aimée.



Cunni velu ? mafih 1ere partie

On skypait tranquille avec F. Lui au Caire ; moi à Beyrouth. Il revenait d’un reportage sur une léproserie du Caire (sic); moi d’un RDV avec un banquier d’affaires libanais… Alors, c’est peut-être pour ça qu’on a vrillé. Entre nos lépreux respectifs, un besoin de respirer fissa fissa, de se désosser les neurones en profondeur.

- Ton blog ce n’est pas mèche-mèche que tu aurais dû l’appeler. Mais : « Mish lèche-lèche. »

Moi, bien sûr, toute à mes premiers cours d’arabe, je réJustifierponds dare-dare :

- Chou ayda ? Ou pour être plus fidèle au Masri (Egyptien) de mon copain : Chou ada ? Bref, en bon Français, ça donne : « C’est quoi ça ? »

Lèche ? signifiant l’interrogation (au moins en Palestinien, Je sais plus en Egyptien) : alors quelque chose comme : « Pas de pourquoi-pourquoi ! »
Ça pouvait coller. Mon refus de la grande politique, des aléas explicatifs d’une « situation », d’un « conflit », selon la terminologie journaliste consacrée (associés aux sacro-saints «Comment en est-on arrivé là ? » et de son corollaire« Comment sortir de la crise ?»), ce tout stérile renvoyé aux nébuleuses donc en un « mish lèche leche ! » hautain tout autant que vengeur ? Cela me plaisait bien. Mais point du tout.

- Ben oui, justement, m’écrit-il sur le Skype Messenger, à parler d’abricot, le problème immense, l’incommensurable tabou (il parle merveilleusement le Français, F.), c’est bien que personne ne te le lèche, ton foutue mèche-mèche.

J’ai eu, je dois dire, un instant d’hésitation. Parlait-il du mien ? N’était-il pas en train de me signifier que, faute justement d’un micheton à me courir intense, je me pignolais chouya les neurones sur les histoires des autres ?

Mais non. Le propos, plus essentiel, demandait juste à être développé.

- C’est total délirant, m’écrit-il donc. Pas un putain de mecs qui veut plonger le nez dedans ici. Une question de poils, je crois. Mais même sans poils, ces putains d’Arabes, ils hésitent. Le tabou à l’état pur. Alors, du coup, y’a pas une Egyptienne qui veut te sucer. Une guerre de tranchées, tu vois ? Comme on n’arrive pas, de toutes les façons, à baiser dans ce putain de pays à la con, autant te dire que c’est totale ceinture.

Naturlich, je lui colle un smiley illico. Celui qui veut dire « mort de rire grave. » J’en ajoute même un, pour bien lui faire comprendre que là, ma montée jubilatoire, je suis en train de me la choper grave en fusionnel. J’en choisis un gentil mais efficace, le « Roll on the floor », une espèce de poux jaunâtre qui dodeline en 3D (y’a pas de « smiley cul » dans le listing disponible, ni d’ailleurs de « smiley César ». Ça manque terriblement, un genre de truc, à l’image de mon Don Juan, un peu épais, uggly/sexy, grimpatouillant dans le vide de la Toile immense en une multitude d’aller-retour vertigineux…)

F. me dit que, lui, ça fait un an qu’il n’a pas tiré sa crampe, « Queud vraiment » à part des petits bécots. Des fiançailles rompues, il y a un an. La famille de la jeune femme – tendance nouveaux riches qui grandirent sous l’influence de Moubarak et de ces nouveaux copains, les Amrikimlis - ne voulait pas de ce nécessiteux, pourtant fils d’un grand écrivain égyptien. La richesse intellectuelle ne pesant, il faut croire, plus grand chose au regard de la puissance du flouzze. F. vivant quand même à Choubra, dans ce qu’en Français et, avec une certaine élégance précieuse, on nomme un « quartier informel. » Bref un bidonville. Enfin moi, en même temps, j’aime bien Choubra. J’y trouve comme la forme inconsciente d’une ville, le fantôme d’une médina, mais ravagée, pulvérisée par l’urgence des hommes à survivre.

Pendant que F. insultait la terre entière sur Skype, se défoulant de ce mektoub de merde qui l’avait fait naître Egyptien (en même temps que très fier, conscient de porter une culture s’effilochant, à son sens), voilà que ça me revient mon épisode poils à moi. Mon expérience velue. Et je me dis, que oui, mais oui pourquoi diantre n’avais-je pas fait le rapport ?

J’entends déjà les écoeurements de quelque uns de mes camarades, de ceux-là pour qui, déjà, en soirée beuveries, imaginer la faisabilité d’un cunni, relève d’un impossible expiatoire. Plutôt les charniers au Rwanda. Mais alors là d’un cunni à poils ? Mish monkem, la, la, la.

Moi, cependant je n’imaginais rien – du moins pas cette problématique-là, guère encore cette anthropologie du rapport au corps au Machrek - quand, il y a deux ou trois ans, A. me téléphona pour boire un verre chez lui à Naplouse (au Moyen-Orient, en généralisant, accepter une telle invitation au soir, revient à accepter le « coucouche panier » ultérieur), ben, voilà, j’avoue, j’ai dit oui.

A., c’était pas vraiment César. Un rien minuscule, de ce genre homme à talonnettes (il me rappelait le proxo de ma tante, c’est peut-être pour ça que finalement j’y suis allée), mais d’une intelligence vivre. Au moins, ai-je pensé, la soirée promet.

Elle a promis.

Car une fois qu’on en a eu fini avec la situation politique de la Palestine, de la guerre Hamas/Fatah (« les mêmes avec une barbe »); d’un commentaire savant sur les sources du sionisme, et du livre d’Abraham Burg (« Defaiting Hitler ») sur la société israélienne, on s’est quand même retrouvé à poils dans sa piaule ultra-froide (y’avait plus de gaz à Naplouse, les Israéliens ayant bloqué le ravitaillement) à méchamment se peler nos teezes (« fesses ») dénudées tandis que le boum-pouffe des obus israéliens approchant nous servaient de fonds musical.

L’homme cependant à «la vive intelligence mais aux talonnettes compensatrices » se montra, nu, sous le déguisement du roi singe.

Y’en avait partout, dans le dos descendant, sur le torse montant. Partout, sauf…. À l’entre-jambe.La chose rasée, épilée, que sais-je, "lasérisée", mais d’un blanc laiteux, luminescent dans la nuit ravagée de Naplouse.

Dans ces cas-là, en général, c’est, comme avec les ordinateurs, y’a une option back up : courir à la salle de bain, dire, « Oh mon dieu, j’ai trop bu d’Arak (whisky/bière/vin, selon la région du monde). J’ai la tête qui tourne. Je vais peut-être rentrer. »
Sauf qu’on n’avait pas bu d’alccol (la vente d’alcool est interdite à Naplouse par les gangs des brigades Al-Aqsa) et que, par ailleurs, en pleine incursion israélienne sur la ville, sortir signifiait tout de même des problématiques plus existentielles.

Alors entre les poils palestiniens et les chars israéliens… Oui… J’avoue… J’ai choisi.

L’histoire, en soi, pourrait prêter à un sourire doucereux et presque conciliant sur cette pauvre Nanou en goguette, s’il n’y avait une suite. Car, au cours de la joute, voyant A. négligemment évité ma propre zone sismique, je lui quémandais une descente aux enfers.

Sa réponse ? Elle vaut, je crois, sa tonne de cacahuètes et je vous le donne, sans l’ombre d’un ajout ni commentaire :

« Non, vraiment. Je ne suis pas prêt psychologiquement. Jamais tu t’épiles ?»











mardi 22 avril 2008

COMBLER L'ATTENTE

Voilà, le matin s’annonçait merveilleux. Le ciel bleu, la mer, sa frange languide, qui m’attirait. La mer m’attire toujours.

Je passais prendre un Nescafé, dégueu et trop sucré, chez l’épicier qui, chaque jour, essaie, avec une régularité suffocante, de me grappiller 250 à 500 livres. Et chaque jour, je le regarde, fichant droit mes grands yeux bleus, couleur de soir d’orage sur la Bretagne, dans les siens. Il déteste (« une femme normalement ne fait pas ça.») J’adore le gêner. Mais, là, en plus, ce matin, il me dit : « Today, it’s the war. »

Pointant le ciel du doigts, et ainsi désignant l’ennemi intime, « zioniste », cela va de soit, Israël. « Emjaad ?», répondis-je, pas encore réveillée et le maudissant pour la dose de sucre que, malgré mes recommandations expresses « bidune sucar », l’infâme m’avait encore collé dans le gobelet.

Sans doute essaie-t-il de détourner mon attention de la « fatrah » (la monnaie) due. Ce n’est pas sa faute, voyez-vous, juste Israël dans le ciel, qui fout nos vies en l’air. Rien de nouveau là-dedans. Hier, et alors que je m’apprêtais à aller me transformer en homard bikini, au Sporting Club de Raouché - la piscine des gens huppés de Beyrouth (20 000 lires l’entrée)-, Z. me confirmait également comme ça, l’air de rien : « Un haut responsable de l’ambassade de France assure que la guerre est pour aujourd’hui. » Même réponse: « Un dimanche ? Vraiment? Hum, intéressant », susurrais-je tout en mouillant mon nez dans la crème de l’expresso.

Le soir cependant, total rougeoyante, irradiant de ma journée à la plage, je paniquais beaucoup plus en apprenant qu’à Zahlé, la ville chrétienne de la Bekaa, des partisans du général Aoun, (alliance strictement intéressée/monnayée du seigneur féodal du coin avec Aoun) avaient dézingué deux phalangistes (chrétiens également, pro-Gemayel, vaguement dingues comme tous les Phalangistes-Kataëb, associés au clan du 14 mars, soit Hariri et consorts, pfutt, c’est dingue ce qu’il faut de mots pour signifier à peu près les choses ici. Et, encore, je n’ai pas fini, faut aussi donner le contexte : Amine Gemayel s’est, en effet, fait niquer sa race grave par le général Aoun aux élections lors d’une partielle dans la région du Metn. D’où une certaine rancœur…)

Parce que là, on n’est pas du tout dans le phantasme mais dans « le prix du sang » que Zalhé va devoir payer inévitablement… Si les coupables n’étaient pas rendus à la justice… Autant dire pendus haut et fort. On est comme ça à Zahlé. Et, pour l’heure, l’affreux criminel, un ex pro Syrien, en mauvaise posture, sur lequel le grand féodal de Zahlé, Elie Skaff, avait porté sa protection chevaleresque (genre : « vous touchez un cheveu de sa tête, je vous nique la gueule ») est aux abonnés absents. Skaff tardant encore à se dédire de sa promesse. Qu’est-ce que deux morts (des phalangistes qui plus est) au final au regard d’une protection donnée ? Que voulez-vous, on est comme ça à Zahlé.

Mais, chaque jour, plus encore que le précédent, je me rappelle le livre de Julien Gracq, « Le Rivage… »
L’attente sexuée, cette fascination instinctive, pour les « barbares » dont les ombres évanescentes encore, croyait-on, se rassemblaient à l’horizon du monde, au bord / précipice – l’Ultima Thulé - même de la civilisation. L’attente soudain comme un bonbon acidulé dont on croquerait la vive blessure, sa glace transperçante, à l’ultime instant.
(Je me la joue intello. J’aurais pu tout aussi bien citer le passage du Seigneur des anneaux de Tolkien avec l’armée des ombres se rassemblant aux marches des pays de l’Est… mais ça assurait moins)

Car, de même, quand je Skype ou e-mail Israël, mes copains, outre qu’ils veulent tout savoir des mœurs du Liban (c’est promis Danielle, le post sur les poils « L’hommes descend du singe et les Libanais en sont encore très proches » arrive) glissent toujours une petite phrase sur : « Dans le Yediot, ce matin, un expert militaire israélien affirmait que le Hezbollah se préparait à une attaque contre Israël. Fais attention à toi. De te savoir dans ce pays de fous…»

Sans imaginer la moindre seconde que mes amis Palestiniens, Libanais, Egyptiens… Dès que je fais retour à Jérusalem Ouest, me téléphonent presque chaque jour, inquiets, de ce qui pourrait bien m’arriver dans cet autre pays de dingues, Israël.


Le ciel pourtant toujours vide des F16 et du boum-boum de leur passage sonique…
Le Hezbollah n’ayant annoncé, pour l’heure, en termes de Djihaad atrophié, que l’augmentation des doses de Haschich et de drogues dures à destination de la Terre Sainte. Gentil, non ? Cela aidera à la destruction intérieure d’une société, à ses yeux, forcément dégénérée.
Croyez-vous cependant que si je lui annonce que, en général, ce sont les Palestiniens qui me demandent de rapporter de l’herbe d’Israël parce qu’impossible d’en trouver en Cisjordanie (sauf à négocier avec les mafieux des Brigades Al-Aqsa (Fatah/pro gouvernement Abou Mazen) - cela, mes amis se le refusent encore car ce serait pour eux « collaborer » (au sens Français du terme, de notre relation ambiguë avec les « heures sombres » de la deuxième guerre mondiale) - cela ferait réfléchir le Parti de Dieu ?

Le sucre coulant dans mon sang et tandis que je chantonne une vieille « cantada » espagnol «como sofria por ella », remontant vers le quartier de Kantari, je réfléchis à cette relation amour-haine, construction sexuée d’un ennemi dont la barbarie supposée attire, sublime chacun de nos gestes.

Lui donnant une puissance, un sens, et pour tout reprendre un terme si cher à la langue de Julien Gracq et des surréalistes, une aimantation fatale.

Comprenez bien : il ne s’agit pas de douter du bien fondé d’un « combat pour… »

Je comprends parfaitement les Libanais qui, le regard tourné vers la frontière, hochent la tête et se disent que « Non vraiment, la paix est impossible avec Israël. » A voir comment l'Etat hébreu a si élégamment laminé le Liban en 2006, ses bombes à fragmentations retardantes toujours actives dans le Sud, y'a forcément comme un petit goût de rancune tenace.

Je comprends, de la même façon, les Israéliens qui matant le turban grand guignolesque et la longue barbe (avouez qu’elle a de la gueule sa barbe, quand même. Ok, pas si sexy que celle de Ben Laden, mais...) de Nassralah, se disent, à leur tour que, faute de se débarrasser de ce dingue et de ses neo-mollahs, « Rien de bon ne pourra advenir. »

Mais, dans ce désir qui monte en moi - quoi ? le sucre ? Ou cette pression lancinante d’un malheur terrible à venir ? -, je sens, dans chacun de mes muscles, le désir de mordre, de griffer… Oui, d’un besoin de violence, pour tout dire, qui viendrait libérer la pression.

Alors, je me dis que, oui, nous sommes capables de faire advenir nos phantasmes collectifs. Créant l’horreur, lui donnant forme et substance, dans un besoin désespéré d’actions et surtout d’assouvissements. Ou pour paraphraser Gracq : combler l’attente face à un décor vide.

Surtout, si j’ai appris quelque chose de ma pratique de reporter, (oh, la belle réputation que je me prépare-là) c’est que, dans un contexte de mort et de terreur, une seule envie en fin de journée vous lamine les veines, passages convulsifs, en permanence réitérés: exulter.

Et parmi les possibles… La violence ou le sexe en sont, ma foi…
N’ayant pas les moyens encore de me négocier ma petite guérilla perso (mais j'y songe, suffisamment d'accointances avec la Sultah palestinienne pour espérer prochainement un arrivage de 4-5 body-guards testoronnés à Ray-Ban), je ne vois que le débridement des corps.

Certes, la chose parfois très compliquée à mettre en oeuvre dans cette partie du monde (pas au Liban cependant, où, justement, tout est sexe sauf César qui, las, rien ne voit) mais, somme toute, avec un rien de bonne volonté et un zeste de planification rusée, à la porter de la première péquenotte venue. Allez, ce soir ? Hum… Et demain ? La guerre ?

lundi 7 avril 2008

TANDIS QUE JE DESCENDAIS LE FLEUVE IMPASSIBLE

Pourquoi ça tombe toujours sur moi les confidences des hommes ? Pourquoi surtout les confidences des hommes du Moyen-Orient ?
Est-ce qu’étant l’ajnabeyya ("l'étrangère"), la parole plus facile, le cœur plus ouvert ?
De ma part, aussi, peut-être "le syndrome Cléopâtre", mon côté Romania antique : moi, dans la posture de « LA Femme parmi les hommes. »

Et puis aussi, j’ai une fâcheuse tendance (qui nuit considérablement à mon essor sentimental) : je vois l’individu comme un être non-sexué (sauf César mais ça c’est une autre histoire, un autre post en devenir). C’est dingue, non ? À chaque fois, ce n’est que des années lumières plus tard, que je me rends compte, que, nom de Dieu, oui, le sieur était bien équipé. J’avais pas percuté.

Tout ça pour dire que je m’étais à peine remise de « Mes nichons en folie » (post 1 ou « Anastasia mondialisée») que me voilà avec D., à papoter le bout de gras, dans un bar d’Achrafiyeh.
Rien de bien sensationnel. Deux vieux potes qui se sirotent pour l’un un café ; pour l’autre (moi) une limonade de citron et de menthe pulvérisée.

Mais D. vient de rentrer d'une belle semaine en Egypte, au Caire précisément.

Dans le mail qu'il m’a envoyé de là-bas, il me parlait de ses longues marches dans le vieux Caire, de ces arrêts dans les cafés Baladi à fumer la chicha, à papoter avec le petit peuple ou de ses haltes en bordure du Nil à juste savourer la magie du fleuve-roi.

« J'ai souvent pensé à toi », écrivait-il. Non pour me draguer (je ne le lui permettrai pas, nous nous connaissons trop bien désormais, encore un, vous dis-je) mais pour dire cette commune passion à tous deux, l'Egypte sublimée, celle des films des années 50 en noir et blanc.

C'était très bien écrit, son mail, lyrique en diable. Mais cela n'était pas vrai. Dû moins manquait-il un épisode qui allait en modifier le goût, lui donner une amertume nauséeuse en même temps que, je crois, pour lui, délicieuse.

Il aura fallu que César, toujours lui (mon étalon référent masculin) toute à sa connaissance instinctive de la nature humaine (patron de bar, ça aide à se construire une expérience infaillible), voyant D. revenir de son voyage au Caire, lui pose la seule question, en définitive, qui méritât notre attention :

- Alors t'as baisé ?

Pour que le D. en question avoue, partagé entre sa soudaine nouvelle gloire de maître queutard es-Moyen-Orient et sa relative culpabilité d'homme, de presque 50 ans, qui se croyait encore protéger du glauque sexuel :

- Hum, hum, oui, deux égyptiennes en même temps.

Le César, ça l'a profondément excité le truc. D’un seul coup, comme un jeune chiot tourneboulant entre les tables. Il voulait connaître les détails. Ce que l'une avait fait, l'autre refusé. Et puis ce lancinant mais ô combien universel : "Est-ce qu’elles se sont touchées l'une et l'autre?" qui lui montait de son boxer, soudainement trop serré.

Et, c'est là, dans les hésitations de D. à répondre, que j’ai compris que le trip n'était pas si reluisant.

Bien sûr, D. se les étaient tassées ces deux Égyptiennes: Un "3/4H top chrono" de baise à trois, avait-il détaillé. Déjà, le timing, pour trois, ça augurait mal, c'était putain de short. Mais on ne sait jamais, tellement excitée le quidam qu’il en aurait vrillé yalla-yalla ?

Ben non, c’était pas ça. Pour se la choper son apothéose surtout, D. avait dû payer "20$ les deux. » Certes, un prix promo, un genre de « Tu paies la première, la seconde est gratuite », imbattable que même les « Russes », en monopole sur ce segment de marché au Levant, pouvaient aller se rhabiller.

Mais quand même D., ça le rabaissait soudain l'usage de ces deux maquerelles pour se dégorger le poireau.

J'ai toujours gardé de mon enfance une profonde tendresse pour le milieu des prostituées. L'une de mes tantes en étant (l'autre vit recluse dans un monastère, by the way), mes week-ends chez Tata Monique "Deux qui la tiennent, Trois qui la niquent" revêtaient une espèce d’auréole mystique, d'interdits soudain offerts à mes possibles investigations.

Et je conserve encore pour la chaîne en or à la cheville voire, extrême excitant de ma libido, celle de la taille descendant vers... Une nostalgie langoureuse (bien que je l'admette, de fort mauvais goût).

C'est ainsi que, en reportage en mer Rouge, vers le port de Safaga, je m'étais trouvée comme bar d'attache, pour mes soirées languides, un bastringue 100 % égyptien où jouer au billard, siroter un thé. Le tout entouré de trois ou quatre plantureuses matrônes, tendance hôtesses de bar Américain, revisitées à la sauce égyptienne, ventre voluptueux sur talons poussiéreux, qui te dorlotaient le client, au moins les réguliers, avec une bonne dose maternante.

Donc, malgré l’air un rien contrit de D., j’imaginais son escapade à l’identique. Et si je pouvais vaguement déplorer l’usage de l’argent, je ne comprenais pas pourquoi D. n’avait pas ce sourire, presque carnassier, au moins canaille, de celui qui s’est éclaté.

Le problème, D. le reniflera à plusieurs reprises, revenant à son épisode égyptien comme au souvenir d’une transe ou mieux d’un rituel initiatique. Il aura d’abord du mal à dire, définir. Car, au final, son épisode extatique, aura eu le goût de la catastrophe.

D’abord, il dira que ces deux beautés étaient novices, "autour de 18 ans", pas encore passées pros, qui voyaient là, un moyen de se récupérer, en moins d'une heure chrono, la somme qu'elles auraient à peine gagnée en une journée.

Et là, tout de suite la poésie des bas-fonds, elle en prend un sacré coup.
Et, là d'un seul coup, on se rappelle quand même que l'Egypte est au bord de l'explosion sociale. L'augmentation du prix du pain comme ferment d'une révolte qui s'associe aux futures élections municipales (et à l'incarcération des militants des Frères Musulmans).

- Je me baladais le long du Nil quand deux mômes, en abaya, sont venues vers moi pour me vendre des foulards. Elles disaient en Anglais "Please, Ostezze, buy something. Look, beautiful scarfs. Not expensive, Gift, Ostezze, very gift"

D. leur répond en Arabe que non, merci, vraiment, il n'a besoin de rien, encore moins d'un foulard synthétique rose dont il ne saurait que faire. Mais il est gentil D. : Il finit par leur en acheter un de leurs foulards minables, leur refourgue quelques roupies et continue sa marche toute à la beauté du Nil, bien sûr, du fleuve Impassible.

C'est alors que l'une d'entre elles lui court après et lui jette un :

- Tu veux rien d'autre ?

Autant dire que la puissance fantasmante de D. s'est mise à pulser grave. Non pas qu'au début, il ait envisagé la trinité bienheureuse. " Elles n’ont pas voulu se quitter, on est montés à trois" mais juste qu'il se voyait bien - et pour la première fois de sa vie - cravacher en Arabe.

Faut dire que D. quand il baise, la plupart du temps, c’est en Français, parfois en Anglais aussi mais jamais en Arabe, pourtant sa langue maternelle. Ce n’est pas non plus qu’il ne fornique qu’avec des étrangères. Non, lui, il fait l’amour avec des libanaises, mais en Français.

- Après ou avant, éventuellement, l'Arabe revient. Mais pendant, c'est toujours en Français.

Combien de fois ai-je entendu cette fêlure qui interdit de recourir à l'Arabe dans l'acte sexuel ? L’Arabe, soudain, langue sacralisée en même temps que… D'une vulgarité confondante. Pourtant, comme dit César, qui, lui, gazouille comme un fou le Libanais même avec des francophones (mais pas avec moi, un autre, vous dis-je): "En Français aussi : "Suce moi", c'est limite."

D. ne reconnaît pas le blocage psychologique. L’Arabe, la langue, sa matrice tendue vers la sacralisation. « C'est pas moi qui aie un problème. Moi, je ne rêve que de ça, qu'une femme me disent : « Vas-y », « Oui, plus fort », « Oh oui, je jouis » en Arabe. C'est chez elles que ça passe pas. » On laissera D., pour l’heure, à ses illusions.

Allez je vous refais le coup du push-up ? D’un détail déluré, une leçon de vie ?

Je crois ce problème psychologique à l’échelle de tout un peuple. Oh bien sûr, je n'ignore pas l'absolu exotisme de jouir dans une autre langue que la sienne.
Et pour certaines libanaises, de surcroît, le Français, à cet instant-là, d'une sublime préciosité.

Mais de la même façon que les enfants de la Shoah, l’ensemble des Israéliens souffrent du traumatisme de survivant qui se reporte de génération en génération. Le problème de l’intimité sexuelle arabe est lié à des causes bien plus lourdes à porter dont... L’échec du nationalisme.

Ou, pour être plus exacte, le nationalisme, pour suppléer au manque de profondeur du concept de « nations» au Moyen-Orient, a crée des Totems, chargés d’en porter tous les symboles sublimes.
Parmi eux, la Terre féminisée, la Terre souffrante (le viol israélien notamment ou américain en ces jours de croisades contre les forces du Mal), qui n’attend que l’ensemencement bienfaiteur : la libération de ses enfants, de ses hommes (guerriers, of course). A l’image de la Femme/de la Mère qui porte tous les espoirs, la Terre, Matrice de l’Arabité sainte et sacrée, devient trop vertueuse pour supporter la vulgarité des assauts masculins.

Baiser en Arabe, d’un seul coup, c’est baiser une sœur, pire, SA mère et revenir à l’inceste originel des tragédies grecques.

Pas mal, un, comme interprétation ?

Retour vers les deux midinettes en abaya noire du bord du Nil qui donc, croyait D., allaient lui révèler le monde vivant derrière les mythes.

Fébrile, et pour tout dire, désormais, excité comme un poux, D. entame la négociation (du fric) avec le concierge de l’hôtel ***** stars où il créchait pendant son séjour. Le deal est vite arrangé, le concierge même 5 étoiles a l'habitude : les deux belles de nuit passeront par la porte de service.

On pourrait s’attendre à une apothéose. Le rituel de la douche terminé quelque chose qu’il atteindrait enfin après des années d’errance : deux nanas, vicieuses comme savent l’être les Egyptiennes (n’oubliez pas, nous mations tous deux enfants, les films égyptiens alors on sait comment elles sont ces infâmes courtisanes), chantonnant en Arabe…

Mais non... Quelque chose qui bloque… Les filles « pas assez pros » ou pas vraiment enthousiastes.

Les filles donc qui s’installent sur le lit, leur corps inerte et attendent, aussi froides et tétanisées que des statues.
Elles n’auront pas un mot. Elles ne diront rien. Rien, pas même, pour pas qu’il s’éternise trop, je ne sais pas moi, a minima, un: « oh la la, c’est bon. »

Dans le vide de la chambre désertée, quand leurs pas discrets se sont éteints le long du corridor, il s’est terminé a mano.

Lui-même déserté, vidé, mais ne sachant pas s’il fallait se détester pour ce qu’il venait de faire, pour ce que cela lui révélait de sa fatigue existentielle, de sa date limite de péremption.
Avec, derrière, dans la tête, le terrible : « Voilà, maintenant j’ai 50 ans. Je paie. » (En bon égoïste, il n’a jamais envisagé que la petite jeunette elle, dès 16 ans, et dans une société musulmane croyante, en était déjà à accepter son destin de femme-objet, femme humiliée, rabaissée, anéantie.)

Ou si, comme à César, "mon" chien-fou, il fallait encore laisser briller dans l'ombre, ce petit rien excité, ce désir permanent, poussé jusqu’à la consommation, mais jamais cependant jusqu’à l’accomplissement bienheureux.

Parce que, et tout est dit là du désoeuvrement de D., pute ou pas : « Cela fait si longtemps que je n’ai pas dit « Je t’aime » à quelqu’un. » Cela, il le dit longtemps après m'avoir raconté son épisode égyptien. J'y vois pourtant comme une évidente conclusion.

ANASTASIA MONDIALISEE

Voyant se déshabiller ma room-mate, ANASTASIA, 21 ans, ronde comme la terre quand elle se décide à porter des fruits multiples, câlins nounours et prières chrétiennes avant de dormir, d'un seul coup, oui, un truc qui me crapahute l'esprit... Un problème d'intégration à Beyrouth, au Liban peut-être, mon premier choc culturel. Voilà.

Attention, le substrat est intense :
Les filles ici portent-elles toutes en permanence des soutiens-gorge armaturés ? Des push-up très exactement ? La nuit comme le jour ?

J'en ai acheté un, en Palestine, de soutif à balconnets propulseurs, faute d'avoir prévu le strict nécessaire lors de mon dernier retour à Jérusalem.
Me voilà désormais en beige satin, « made in China » (inévitablement), 50 shekels (10 euros), sonnant sur les portails de sécurité israéliens because les armatures renforcées.
Oh, l'infini plaisir du soldat à la frontière, à qui j'ai du tendre mon soutien-gorge avec, derrière, quelques Palestoches également intéressés, pour ensuite repasser dans l'appareil à neutrons et jets de lave, censé détecter je ne sais pas quoi sur ma suspecte de personne.

Mais revenons à ma beyrouthine, ANASTASIA donc (c'est à peine croyable, non, ce prénom ? Walt Disney avant l'heure, ici même, au pays merveilleux de l'oncle Hariri), n'enlève jamais le haut pour dormir. Ni le bas d'ailleurs.
Et le bas, mazette, souvent fluo, avec une prédominance de vert pomme, de rose intense ou de rouge primaire, lui remonte, mamamilla, lui remonte... Et bien, je crois bien, précisément, jusqu'à la poitrine. Tous les soirs, la douce ANASTASIA s'enfourne ainsi dans le lit pour dormir, avec, of course, en plus, un pyjama à gros coeurs.

Etonnée - et toujours invraisemblablement journaliste - j'ai testé mon cheptel local : Douze très jeunes Libanaises (sauf moi, older bass comme dit César : « Tu as encore l'esprit jeune. Et puis tes jambes sont musclées, non? » Il vérifie. Il n'est pas très sûr. ça pourrait l'intéresser, en cas d'urgence peut-être, dû moins si la fermeté de mes cuisses s'avérait bien réelle.)
Ici, donc, douze fifilles, la plupart étudiantes, vivotant en commun dans cet appartement d'Achrafiyeh où nous louons toutes, le quartier, Beyrouth elle-même, devenant trop cher.

Résultat de mon enquête : le push-up, toujours vous dis-je, le push-up sur bonnets C/D dans tout le Moyen-Orient.

J'en vois une, au moins, parmi mes copines, qui va me répondre d'un " Ne touche à rien, wouhaou, douze putains de nanas désoeuvrées... J'arrive... " Enfin, elle jouera chouya les dégoûtées, le côté D de la chose (elle aime l'immature et les petits tétons, à peine éclos, que voulez-vous) mais douze nanas tout de même, je la connais, la gueuse, elle ne résistera pas à en faire tomber une de ces toutes jeunes femmes vers le côté obscur des no-straight assumées.

Mais moi, cela ne réglera pas mon problème. Enfin, en même temps, si, peut-être un peu : ANASTASIA honteuse, digérant sa révélation sexuelle, pourrait bien retourner dans le Chouf, après le passage de mon amie, me laissant seule enfin dans la chambre sans plus de nounours et de smack-smack au Christ en croix au moment de dormir...

Mais je m'éloigne de mon sujet.

Voyez-vous, ma grand-mère, à qui je dois tout en matière d'hygiène corporelle, m'a toujours assurée que, au soir venu, il FALLAIT se libérer le mèche-mèche ("l'abricot" donc). Et accessoirement laisser voltiger, libres vers les dieux divins, les étoiles ou les djinns (encore que, les djinns, l'incantation est problématique, il vaut mieux s'en préserver) une poitrine soudain redevenue sauvageonne, un corps à tout le moins libéré de ses apprêts.

Une amie, à qui, déjà, je mailais mes atermoiements érotico-politiques sur la délicate situation du Liban, m'assurait qu'il lui arrivait, à elle aussi, de trouver sa grand-mère, en plein après-midi, en djellabiyya large, préparant le couscous, les seins en "récréation."

Mais bon, cette autre de mes amies est encore, une de ces tounssiyya à la mords-moi le noeud, pied-nouzes vénérés, à qui, peut-être et bien que l'éducation des bonnes soeurs de la Charité soit passée par là, il manque toujours ce vernis civilisateur, si cher à notre Doktor Bush.

Ce qui m'amène à plusieurs questions (pas Bush, le push-up) toutes aussi essentielles dont l'une me paraît primordiale :
La libéralisation de la femme Arabe - ou son nouvel esclavage - se joue-t-il dans le choix du soutinge à effets compressifs ?

Tandis que je matais ma princesse ANASTASIA se pliant aux désirs masculins - les seins bombés vers les hauteurs vertigineuses dans un espoir immense, bien que non encore consommé, d'envolées sismiques -, je me disais qu'ici, au Machrek, plus qu'en Europe ou aux Etats-Unis, nous, autres femmes, servons de souris de laboratoires, de Marilyn littéralement entubées, au renouveau mondial du grand patriarcat.

Et même si le Liban se pense unique, bien loin des autres attardés mentaux de la région, cela reste un putain de pays arabe où le machisme est à ce point intériorisé que les femmes ne se rendent même plus compte qu'elles succombent-là à un énième avatar de la société patriarcale.

En même temps, Croisés de « l'outre monde » (pour reprendre une expression médiévale qui me ravit les doigts sur le clavier) l'Occident, en matière de domination masculine sous couvert de beauté féminine sublimée, se porte bien.

À qui les devons-nous donc nos push-up, un ? Certes ces divines petites choses - censées nous familiariser avec l'oeil vitreux des Don Juan Borsalino sur nos décolletées - sont fabriqués en Chine, mais le design, la gangue, un ?

Dans le genre, c'est plutôt diablement Américain... À l'idoine, je crois, des opérations esthétiques, des nouveaux tenseurs pour se muscler le vagin (et mieux ainsi faire jouir le doudou en resserrant les muscles intimes sur sa queue gonflée. C'était dans « Elle » Liban ou équivalent)... Sauf qu'ici, traversant la mer, le désir masculin s'érige en caricature.

Je n'ai rien contre le fait de resserrer les muscles, leche la, en effet (et puis ça poussera peut-être César à me proposer un verre, un soir, si momken je lui dis que je pratique intense les exercices préconisés par « Elle »), je n'ai même rien contre les push-up mais les scarifications torturantes que certaines Libanaises s'imposent pour mieux coller aux masculins désirables me donnent la chair de poule.

Reluquant les mômes de mon appartement, aux innocentes peluches en même temps qu'au maquillage de vieille maquerelle, je ne puis m'empêcher d'avoir le cœur serré face à ces jeunes femmes dont, in fine, le désir si lancinant ne traduit que la quête du Prince Charmant.

Et puis, je dois bien l'avouer, ma familiarité avec le monde musulman, me pousse à trouver dans la timidité des corps exhibés quelque chose de précieux. Comme si, au moins, la chair dissimulée, voilée (non au sens islamique mais – oserai-je ?- Flaubertien du terme dans Salammbô, wahouh, matez quand même la référence), me paraît bien plus fantasmant, séducteur que toutes ces chairs données, apprêtées, maquillées, déformées. Peut-être est-ce là encore une figuration des masculinités dominantes ?

Alors que faire ? Une manifestation de femmes sur la place des Martyrs, les push-up en même temps que les voiles brandies en étendard d'une saine révolte ? Je le crains, hélas, le public beyrouthin, n'est pas prêt du tout à ce genre de démonstrations même si nous avons eu, il y a peu, une marche de protestation en pyjama des habitants de Gémazeh, quartier ultra-branché de Beyrouth, fatigués – d'où le pyj - de devoir se tasser tous les alcoolos nocturnes du Liban.


(1) Si cependant le push-up vous turlupine encore, lisez donc cet auteur à l'intelligence vive, bien que désormais démodé, et peut-être un rien limite (ses accointances juvéniles avec le Parti populaire syrien) le palestinien Hischam Sharabi sur le renouveau du patriarcat dans les sociétés arabes.