Pourquoi ça tombe toujours sur moi les confidences des hommes ? Pourquoi surtout les confidences des hommes du Moyen-Orient ?
Est-ce qu’étant l’ajnabeyya ("l'étrangère"), la parole plus facile, le cœur plus ouvert ?
De ma part, aussi, peut-être "le syndrome Cléopâtre", mon côté Romania antique : moi, dans la posture de « LA Femme parmi les hommes. »
Et puis aussi, j’ai une fâcheuse tendance (qui nuit considérablement à mon essor sentimental) : je vois l’individu comme un être non-sexué (sauf César mais ça c’est une autre histoire, un autre post en devenir). C’est dingue, non ? À chaque fois, ce n’est que des années lumières plus tard, que je me rends compte, que, nom de Dieu, oui, le sieur était bien équipé. J’avais pas percuté.
Tout ça pour dire que je m’étais à peine remise de « Mes nichons en folie » (post 1 ou « Anastasia mondialisée») que me voilà avec D., à papoter le bout de gras, dans un bar d’Achrafiyeh.
Rien de bien sensationnel. Deux vieux potes qui se sirotent pour l’un un café ; pour l’autre (moi) une limonade de citron et de menthe pulvérisée.
Mais D. vient de rentrer d'une belle semaine en Egypte, au Caire précisément.
Dans le mail qu'il m’a envoyé de là-bas, il me parlait de ses longues marches dans le vieux Caire, de ces arrêts dans les cafés Baladi à fumer la chicha, à papoter avec le petit peuple ou de ses haltes en bordure du Nil à juste savourer la magie du fleuve-roi.
« J'ai souvent pensé à toi », écrivait-il. Non pour me draguer (je ne le lui permettrai pas, nous nous connaissons trop bien désormais, encore un, vous dis-je) mais pour dire cette commune passion à tous deux, l'Egypte sublimée, celle des films des années 50 en noir et blanc.
C'était très bien écrit, son mail, lyrique en diable. Mais cela n'était pas vrai. Dû moins manquait-il un épisode qui allait en modifier le goût, lui donner une amertume nauséeuse en même temps que, je crois, pour lui, délicieuse.
Il aura fallu que César, toujours lui (mon étalon référent masculin) toute à sa connaissance instinctive de la nature humaine (patron de bar, ça aide à se construire une expérience infaillible), voyant D. revenir de son voyage au Caire, lui pose la seule question, en définitive, qui méritât notre attention :
- Alors t'as baisé ?
Pour que le D. en question avoue, partagé entre sa soudaine nouvelle gloire de maître queutard es-Moyen-Orient et sa relative culpabilité d'homme, de presque 50 ans, qui se croyait encore protéger du glauque sexuel :
- Hum, hum, oui, deux égyptiennes en même temps.
Le César, ça l'a profondément excité le truc. D’un seul coup, comme un jeune chiot tourneboulant entre les tables. Il voulait connaître les détails. Ce que l'une avait fait, l'autre refusé. Et puis ce lancinant mais ô combien universel : "Est-ce qu’elles se sont touchées l'une et l'autre?" qui lui montait de son boxer, soudainement trop serré.
Et, c'est là, dans les hésitations de D. à répondre, que j’ai compris que le trip n'était pas si reluisant.
Bien sûr, D. se les étaient tassées ces deux Égyptiennes: Un "3/4H top chrono" de baise à trois, avait-il détaillé. Déjà, le timing, pour trois, ça augurait mal, c'était putain de short. Mais on ne sait jamais, tellement excitée le quidam qu’il en aurait vrillé yalla-yalla ?
Ben non, c’était pas ça. Pour se la choper son apothéose surtout, D. avait dû payer "20$ les deux. » Certes, un prix promo, un genre de « Tu paies la première, la seconde est gratuite », imbattable que même les « Russes », en monopole sur ce segment de marché au Levant, pouvaient aller se rhabiller.
Mais quand même D., ça le rabaissait soudain l'usage de ces deux maquerelles pour se dégorger le poireau.
J'ai toujours gardé de mon enfance une profonde tendresse pour le milieu des prostituées. L'une de mes tantes en étant (l'autre vit recluse dans un monastère, by the way), mes week-ends chez Tata Monique "Deux qui la tiennent, Trois qui la niquent" revêtaient une espèce d’auréole mystique, d'interdits soudain offerts à mes possibles investigations.
Et je conserve encore pour la chaîne en or à la cheville voire, extrême excitant de ma libido, celle de la taille descendant vers... Une nostalgie langoureuse (bien que je l'admette, de fort mauvais goût).
C'est ainsi que, en reportage en mer Rouge, vers le port de Safaga, je m'étais trouvée comme bar d'attache, pour mes soirées languides, un bastringue 100 % égyptien où jouer au billard, siroter un thé. Le tout entouré de trois ou quatre plantureuses matrônes, tendance hôtesses de bar Américain, revisitées à la sauce égyptienne, ventre voluptueux sur talons poussiéreux, qui te dorlotaient le client, au moins les réguliers, avec une bonne dose maternante.
Donc, malgré l’air un rien contrit de D., j’imaginais son escapade à l’identique. Et si je pouvais vaguement déplorer l’usage de l’argent, je ne comprenais pas pourquoi D. n’avait pas ce sourire, presque carnassier, au moins canaille, de celui qui s’est éclaté.
Le problème, D. le reniflera à plusieurs reprises, revenant à son épisode égyptien comme au souvenir d’une transe ou mieux d’un rituel initiatique. Il aura d’abord du mal à dire, définir. Car, au final, son épisode extatique, aura eu le goût de la catastrophe.
D’abord, il dira que ces deux beautés étaient novices, "autour de 18 ans", pas encore passées pros, qui voyaient là, un moyen de se récupérer, en moins d'une heure chrono, la somme qu'elles auraient à peine gagnée en une journée.
Et là, tout de suite la poésie des bas-fonds, elle en prend un sacré coup.
Et, là d'un seul coup, on se rappelle quand même que l'Egypte est au bord de l'explosion sociale. L'augmentation du prix du pain comme ferment d'une révolte qui s'associe aux futures élections municipales (et à l'incarcération des militants des Frères Musulmans).
- Je me baladais le long du Nil quand deux mômes, en abaya, sont venues vers moi pour me vendre des foulards. Elles disaient en Anglais "Please, Ostezze, buy something. Look, beautiful scarfs. Not expensive, Gift, Ostezze, very gift"
D. leur répond en Arabe que non, merci, vraiment, il n'a besoin de rien, encore moins d'un foulard synthétique rose dont il ne saurait que faire. Mais il est gentil D. : Il finit par leur en acheter un de leurs foulards minables, leur refourgue quelques roupies et continue sa marche toute à la beauté du Nil, bien sûr, du fleuve Impassible.
C'est alors que l'une d'entre elles lui court après et lui jette un :
- Tu veux rien d'autre ?
Autant dire que la puissance fantasmante de D. s'est mise à pulser grave. Non pas qu'au début, il ait envisagé la trinité bienheureuse. " Elles n’ont pas voulu se quitter, on est montés à trois" mais juste qu'il se voyait bien - et pour la première fois de sa vie - cravacher en Arabe.
Faut dire que D. quand il baise, la plupart du temps, c’est en Français, parfois en Anglais aussi mais jamais en Arabe, pourtant sa langue maternelle. Ce n’est pas non plus qu’il ne fornique qu’avec des étrangères. Non, lui, il fait l’amour avec des libanaises, mais en Français.
- Après ou avant, éventuellement, l'Arabe revient. Mais pendant, c'est toujours en Français.
Combien de fois ai-je entendu cette fêlure qui interdit de recourir à l'Arabe dans l'acte sexuel ? L’Arabe, soudain, langue sacralisée en même temps que… D'une vulgarité confondante. Pourtant, comme dit César, qui, lui, gazouille comme un fou le Libanais même avec des francophones (mais pas avec moi, un autre, vous dis-je): "En Français aussi : "Suce moi", c'est limite."
D. ne reconnaît pas le blocage psychologique. L’Arabe, la langue, sa matrice tendue vers la sacralisation. « C'est pas moi qui aie un problème. Moi, je ne rêve que de ça, qu'une femme me disent : « Vas-y », « Oui, plus fort », « Oh oui, je jouis » en Arabe. C'est chez elles que ça passe pas. » On laissera D., pour l’heure, à ses illusions.
Allez je vous refais le coup du push-up ? D’un détail déluré, une leçon de vie ?
Je crois ce problème psychologique à l’échelle de tout un peuple. Oh bien sûr, je n'ignore pas l'absolu exotisme de jouir dans une autre langue que la sienne.
Et pour certaines libanaises, de surcroît, le Français, à cet instant-là, d'une sublime préciosité.
Mais de la même façon que les enfants de la Shoah, l’ensemble des Israéliens souffrent du traumatisme de survivant qui se reporte de génération en génération. Le problème de l’intimité sexuelle arabe est lié à des causes bien plus lourdes à porter dont... L’échec du nationalisme.
Ou, pour être plus exacte, le nationalisme, pour suppléer au manque de profondeur du concept de « nations» au Moyen-Orient, a crée des Totems, chargés d’en porter tous les symboles sublimes.
Parmi eux, la Terre féminisée, la Terre souffrante (le viol israélien notamment ou américain en ces jours de croisades contre les forces du Mal), qui n’attend que l’ensemencement bienfaiteur : la libération de ses enfants, de ses hommes (guerriers, of course). A l’image de la Femme/de la Mère qui porte tous les espoirs, la Terre, Matrice de l’Arabité sainte et sacrée, devient trop vertueuse pour supporter la vulgarité des assauts masculins.
Baiser en Arabe, d’un seul coup, c’est baiser une sœur, pire, SA mère et revenir à l’inceste originel des tragédies grecques.
Pas mal, un, comme interprétation ?
Retour vers les deux midinettes en abaya noire du bord du Nil qui donc, croyait D., allaient lui révèler le monde vivant derrière les mythes.
Fébrile, et pour tout dire, désormais, excité comme un poux, D. entame la négociation (du fric) avec le concierge de l’hôtel ***** stars où il créchait pendant son séjour. Le deal est vite arrangé, le concierge même 5 étoiles a l'habitude : les deux belles de nuit passeront par la porte de service.
On pourrait s’attendre à une apothéose. Le rituel de la douche terminé quelque chose qu’il atteindrait enfin après des années d’errance : deux nanas, vicieuses comme savent l’être les Egyptiennes (n’oubliez pas, nous mations tous deux enfants, les films égyptiens alors on sait comment elles sont ces infâmes courtisanes), chantonnant en Arabe…
Mais non... Quelque chose qui bloque… Les filles « pas assez pros » ou pas vraiment enthousiastes.
Les filles donc qui s’installent sur le lit, leur corps inerte et attendent, aussi froides et tétanisées que des statues.
Elles n’auront pas un mot. Elles ne diront rien. Rien, pas même, pour pas qu’il s’éternise trop, je ne sais pas moi, a minima, un: « oh la la, c’est bon. »
Dans le vide de la chambre désertée, quand leurs pas discrets se sont éteints le long du corridor, il s’est terminé a mano.
Lui-même déserté, vidé, mais ne sachant pas s’il fallait se détester pour ce qu’il venait de faire, pour ce que cela lui révélait de sa fatigue existentielle, de sa date limite de péremption.
Avec, derrière, dans la tête, le terrible : « Voilà, maintenant j’ai 50 ans. Je paie. » (En bon égoïste, il n’a jamais envisagé que la petite jeunette elle, dès 16 ans, et dans une société musulmane croyante, en était déjà à accepter son destin de femme-objet, femme humiliée, rabaissée, anéantie.)
Ou si, comme à César, "mon" chien-fou, il fallait encore laisser briller dans l'ombre, ce petit rien excité, ce désir permanent, poussé jusqu’à la consommation, mais jamais cependant jusqu’à l’accomplissement bienheureux.
Parce que, et tout est dit là du désoeuvrement de D., pute ou pas : « Cela fait si longtemps que je n’ai pas dit « Je t’aime » à quelqu’un. » Cela, il le dit longtemps après m'avoir raconté son épisode égyptien. J'y vois pourtant comme une évidente conclusion.
Est-ce qu’étant l’ajnabeyya ("l'étrangère"), la parole plus facile, le cœur plus ouvert ?
De ma part, aussi, peut-être "le syndrome Cléopâtre", mon côté Romania antique : moi, dans la posture de « LA Femme parmi les hommes. »
Et puis aussi, j’ai une fâcheuse tendance (qui nuit considérablement à mon essor sentimental) : je vois l’individu comme un être non-sexué (sauf César mais ça c’est une autre histoire, un autre post en devenir). C’est dingue, non ? À chaque fois, ce n’est que des années lumières plus tard, que je me rends compte, que, nom de Dieu, oui, le sieur était bien équipé. J’avais pas percuté.
Tout ça pour dire que je m’étais à peine remise de « Mes nichons en folie » (post 1 ou « Anastasia mondialisée») que me voilà avec D., à papoter le bout de gras, dans un bar d’Achrafiyeh.
Rien de bien sensationnel. Deux vieux potes qui se sirotent pour l’un un café ; pour l’autre (moi) une limonade de citron et de menthe pulvérisée.
Mais D. vient de rentrer d'une belle semaine en Egypte, au Caire précisément.
Dans le mail qu'il m’a envoyé de là-bas, il me parlait de ses longues marches dans le vieux Caire, de ces arrêts dans les cafés Baladi à fumer la chicha, à papoter avec le petit peuple ou de ses haltes en bordure du Nil à juste savourer la magie du fleuve-roi.
« J'ai souvent pensé à toi », écrivait-il. Non pour me draguer (je ne le lui permettrai pas, nous nous connaissons trop bien désormais, encore un, vous dis-je) mais pour dire cette commune passion à tous deux, l'Egypte sublimée, celle des films des années 50 en noir et blanc.
C'était très bien écrit, son mail, lyrique en diable. Mais cela n'était pas vrai. Dû moins manquait-il un épisode qui allait en modifier le goût, lui donner une amertume nauséeuse en même temps que, je crois, pour lui, délicieuse.
Il aura fallu que César, toujours lui (mon étalon référent masculin) toute à sa connaissance instinctive de la nature humaine (patron de bar, ça aide à se construire une expérience infaillible), voyant D. revenir de son voyage au Caire, lui pose la seule question, en définitive, qui méritât notre attention :
- Alors t'as baisé ?
Pour que le D. en question avoue, partagé entre sa soudaine nouvelle gloire de maître queutard es-Moyen-Orient et sa relative culpabilité d'homme, de presque 50 ans, qui se croyait encore protéger du glauque sexuel :
- Hum, hum, oui, deux égyptiennes en même temps.
Le César, ça l'a profondément excité le truc. D’un seul coup, comme un jeune chiot tourneboulant entre les tables. Il voulait connaître les détails. Ce que l'une avait fait, l'autre refusé. Et puis ce lancinant mais ô combien universel : "Est-ce qu’elles se sont touchées l'une et l'autre?" qui lui montait de son boxer, soudainement trop serré.
Et, c'est là, dans les hésitations de D. à répondre, que j’ai compris que le trip n'était pas si reluisant.
Bien sûr, D. se les étaient tassées ces deux Égyptiennes: Un "3/4H top chrono" de baise à trois, avait-il détaillé. Déjà, le timing, pour trois, ça augurait mal, c'était putain de short. Mais on ne sait jamais, tellement excitée le quidam qu’il en aurait vrillé yalla-yalla ?
Ben non, c’était pas ça. Pour se la choper son apothéose surtout, D. avait dû payer "20$ les deux. » Certes, un prix promo, un genre de « Tu paies la première, la seconde est gratuite », imbattable que même les « Russes », en monopole sur ce segment de marché au Levant, pouvaient aller se rhabiller.
Mais quand même D., ça le rabaissait soudain l'usage de ces deux maquerelles pour se dégorger le poireau.
J'ai toujours gardé de mon enfance une profonde tendresse pour le milieu des prostituées. L'une de mes tantes en étant (l'autre vit recluse dans un monastère, by the way), mes week-ends chez Tata Monique "Deux qui la tiennent, Trois qui la niquent" revêtaient une espèce d’auréole mystique, d'interdits soudain offerts à mes possibles investigations.
Et je conserve encore pour la chaîne en or à la cheville voire, extrême excitant de ma libido, celle de la taille descendant vers... Une nostalgie langoureuse (bien que je l'admette, de fort mauvais goût).
C'est ainsi que, en reportage en mer Rouge, vers le port de Safaga, je m'étais trouvée comme bar d'attache, pour mes soirées languides, un bastringue 100 % égyptien où jouer au billard, siroter un thé. Le tout entouré de trois ou quatre plantureuses matrônes, tendance hôtesses de bar Américain, revisitées à la sauce égyptienne, ventre voluptueux sur talons poussiéreux, qui te dorlotaient le client, au moins les réguliers, avec une bonne dose maternante.
Donc, malgré l’air un rien contrit de D., j’imaginais son escapade à l’identique. Et si je pouvais vaguement déplorer l’usage de l’argent, je ne comprenais pas pourquoi D. n’avait pas ce sourire, presque carnassier, au moins canaille, de celui qui s’est éclaté.
Le problème, D. le reniflera à plusieurs reprises, revenant à son épisode égyptien comme au souvenir d’une transe ou mieux d’un rituel initiatique. Il aura d’abord du mal à dire, définir. Car, au final, son épisode extatique, aura eu le goût de la catastrophe.
D’abord, il dira que ces deux beautés étaient novices, "autour de 18 ans", pas encore passées pros, qui voyaient là, un moyen de se récupérer, en moins d'une heure chrono, la somme qu'elles auraient à peine gagnée en une journée.
Et là, tout de suite la poésie des bas-fonds, elle en prend un sacré coup.
Et, là d'un seul coup, on se rappelle quand même que l'Egypte est au bord de l'explosion sociale. L'augmentation du prix du pain comme ferment d'une révolte qui s'associe aux futures élections municipales (et à l'incarcération des militants des Frères Musulmans).
- Je me baladais le long du Nil quand deux mômes, en abaya, sont venues vers moi pour me vendre des foulards. Elles disaient en Anglais "Please, Ostezze, buy something. Look, beautiful scarfs. Not expensive, Gift, Ostezze, very gift"
D. leur répond en Arabe que non, merci, vraiment, il n'a besoin de rien, encore moins d'un foulard synthétique rose dont il ne saurait que faire. Mais il est gentil D. : Il finit par leur en acheter un de leurs foulards minables, leur refourgue quelques roupies et continue sa marche toute à la beauté du Nil, bien sûr, du fleuve Impassible.
C'est alors que l'une d'entre elles lui court après et lui jette un :
- Tu veux rien d'autre ?
Autant dire que la puissance fantasmante de D. s'est mise à pulser grave. Non pas qu'au début, il ait envisagé la trinité bienheureuse. " Elles n’ont pas voulu se quitter, on est montés à trois" mais juste qu'il se voyait bien - et pour la première fois de sa vie - cravacher en Arabe.
Faut dire que D. quand il baise, la plupart du temps, c’est en Français, parfois en Anglais aussi mais jamais en Arabe, pourtant sa langue maternelle. Ce n’est pas non plus qu’il ne fornique qu’avec des étrangères. Non, lui, il fait l’amour avec des libanaises, mais en Français.
- Après ou avant, éventuellement, l'Arabe revient. Mais pendant, c'est toujours en Français.
Combien de fois ai-je entendu cette fêlure qui interdit de recourir à l'Arabe dans l'acte sexuel ? L’Arabe, soudain, langue sacralisée en même temps que… D'une vulgarité confondante. Pourtant, comme dit César, qui, lui, gazouille comme un fou le Libanais même avec des francophones (mais pas avec moi, un autre, vous dis-je): "En Français aussi : "Suce moi", c'est limite."
D. ne reconnaît pas le blocage psychologique. L’Arabe, la langue, sa matrice tendue vers la sacralisation. « C'est pas moi qui aie un problème. Moi, je ne rêve que de ça, qu'une femme me disent : « Vas-y », « Oui, plus fort », « Oh oui, je jouis » en Arabe. C'est chez elles que ça passe pas. » On laissera D., pour l’heure, à ses illusions.
Allez je vous refais le coup du push-up ? D’un détail déluré, une leçon de vie ?
Je crois ce problème psychologique à l’échelle de tout un peuple. Oh bien sûr, je n'ignore pas l'absolu exotisme de jouir dans une autre langue que la sienne.
Et pour certaines libanaises, de surcroît, le Français, à cet instant-là, d'une sublime préciosité.
Mais de la même façon que les enfants de la Shoah, l’ensemble des Israéliens souffrent du traumatisme de survivant qui se reporte de génération en génération. Le problème de l’intimité sexuelle arabe est lié à des causes bien plus lourdes à porter dont... L’échec du nationalisme.
Ou, pour être plus exacte, le nationalisme, pour suppléer au manque de profondeur du concept de « nations» au Moyen-Orient, a crée des Totems, chargés d’en porter tous les symboles sublimes.
Parmi eux, la Terre féminisée, la Terre souffrante (le viol israélien notamment ou américain en ces jours de croisades contre les forces du Mal), qui n’attend que l’ensemencement bienfaiteur : la libération de ses enfants, de ses hommes (guerriers, of course). A l’image de la Femme/de la Mère qui porte tous les espoirs, la Terre, Matrice de l’Arabité sainte et sacrée, devient trop vertueuse pour supporter la vulgarité des assauts masculins.
Baiser en Arabe, d’un seul coup, c’est baiser une sœur, pire, SA mère et revenir à l’inceste originel des tragédies grecques.
Pas mal, un, comme interprétation ?
Retour vers les deux midinettes en abaya noire du bord du Nil qui donc, croyait D., allaient lui révèler le monde vivant derrière les mythes.
Fébrile, et pour tout dire, désormais, excité comme un poux, D. entame la négociation (du fric) avec le concierge de l’hôtel ***** stars où il créchait pendant son séjour. Le deal est vite arrangé, le concierge même 5 étoiles a l'habitude : les deux belles de nuit passeront par la porte de service.
On pourrait s’attendre à une apothéose. Le rituel de la douche terminé quelque chose qu’il atteindrait enfin après des années d’errance : deux nanas, vicieuses comme savent l’être les Egyptiennes (n’oubliez pas, nous mations tous deux enfants, les films égyptiens alors on sait comment elles sont ces infâmes courtisanes), chantonnant en Arabe…
Mais non... Quelque chose qui bloque… Les filles « pas assez pros » ou pas vraiment enthousiastes.
Les filles donc qui s’installent sur le lit, leur corps inerte et attendent, aussi froides et tétanisées que des statues.
Elles n’auront pas un mot. Elles ne diront rien. Rien, pas même, pour pas qu’il s’éternise trop, je ne sais pas moi, a minima, un: « oh la la, c’est bon. »
Dans le vide de la chambre désertée, quand leurs pas discrets se sont éteints le long du corridor, il s’est terminé a mano.
Lui-même déserté, vidé, mais ne sachant pas s’il fallait se détester pour ce qu’il venait de faire, pour ce que cela lui révélait de sa fatigue existentielle, de sa date limite de péremption.
Avec, derrière, dans la tête, le terrible : « Voilà, maintenant j’ai 50 ans. Je paie. » (En bon égoïste, il n’a jamais envisagé que la petite jeunette elle, dès 16 ans, et dans une société musulmane croyante, en était déjà à accepter son destin de femme-objet, femme humiliée, rabaissée, anéantie.)
Ou si, comme à César, "mon" chien-fou, il fallait encore laisser briller dans l'ombre, ce petit rien excité, ce désir permanent, poussé jusqu’à la consommation, mais jamais cependant jusqu’à l’accomplissement bienheureux.
Parce que, et tout est dit là du désoeuvrement de D., pute ou pas : « Cela fait si longtemps que je n’ai pas dit « Je t’aime » à quelqu’un. » Cela, il le dit longtemps après m'avoir raconté son épisode égyptien. J'y vois pourtant comme une évidente conclusion.
2 commentaires:
Si ce n'est bon sexe, mais alors quel très bon texte !
Mille bravos !
Christine vdp
c'est "fratah" la monnais, un détail
c'est génialement écrit. ça simplifie bien la situation
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